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C’est quoi une entreprise libérée ? L’exemple de la biscuiterie Poult

Par Guirec Gombert | Publié le 20/07/2015 - Mis à jour le 07/10/2015

Dans le cadre d’une nouvelle série d’interviews, nous nous intéressons à l’holacratie : un paradigme organisationnel à la mode dans les entreprises consistant à supprimer la hiérarchie pour laisser plus d’autonomie aux salariés. La biscuiterie Poult – deuxième vendeur de biscuits en France - a été l’une des premières en France à adopter un tel système. Management réduit, horaires souples, comité d’évaluation des salaires, incubateur de start-up maisons… Depuis 2007, l’entreprise innove.

Libérée de sa hiérarchie pesante, délivrée de ses contraintes, la biscuiterie Poult a inventé l’entreprise de demain il y a 8 ans déjà... Explications avec  Camille Panassié, en charge du management de l’innovation.

> L'holacratie ou la mort annoncée des chefs en entreprise

En 2007, Poult décide de revoir son organisation. Quel a été l’élément déclencheur ?

Plusieurs facteurs expliquent la mutation de Poult. Le principal est un plan social dont a été victime en 2003 l’usine historique de Montauban. Un plan mal vécu par les salariés mais aussi par l’alors tout nouveau PDG de l’entreprise, Carlos Verkaeren. Son idée était de trouver un moyen de pérenniser l’entreprise avec une vision moins court-termiste, en remettant l’Homme au cœur du système. Tous les salariés ont alors été invités sur la base du volontariat à venir réfléchir le temps d’une journée à une nouvelle organisation. Tous sont venus participer. Plusieurs bases de la nouvelle organisation ont été jetées parmi lesquelles le fait de raccourcir les circuits de décision et de limiter les niveaux hiérarchiques, pour favoriser l’autonomie et la responsabilité de tous les salariés. Deux niveaux hiérarchiques ont notamment été supprimés, et l’usine a été divisée en 4 unités de production plus agiles.

Concrètement, qu’est-ce que cela a changé au niveau de la hiérarchie et de l’organisation ?

Sur le site de Montauban, nous avons supprimé, entre autres, l’échelon intermédiaire des « chefs de ligne ». Ces derniers sont devenus des «  experts process ou des techniciens de progrés ». Leur nouvelle fonction les a amenés à accompagner et aider les ouvriers au quotidien plutôt qu’à les diriger. Ces derniers sont également plus autonomes dans leurs taches, ils n’ont plus à référer à untel ou untel pour prendre des initiatives sur les lignes de production.

Le comité de direction a également été supprimé en 2010. A la place, nous avons souhaité que des équipes transversales, mêlant toutes les fonctions de l’entreprise – de l’ouvrier au marketing – réfléchissent  à la stratégie de chaque produit du groupe (développement de nouveaux produits, amélioration des process, etc.). Les décisions structurantes, comme la répartition des investissements, sont également prises par des collectifs représentatifs de l’ensemble de l’entreprise.

Comment se déroulent ces séances ?

Chaque équipe définit son propre mode de fonctionnement : missions, objectifs, récurrence des réunions, modalités de prise de décision,… Nous partageons les bonnes pratiques, mais chacun est libre de s’organiser comme il le souhaite.

Nous utilisons beaucoup d’outils d’animation tels que la créativité pour réfléchir à des sujets transverses, que ce soit pour la création d’un nouveau produit ou la résolution de problématiques du quotidien. Par exemple, quand nous avons constaté une envolée des notes de déplacement, une quinzaine de personnes, représentant les communautés qui se déplacent le plus dans l’entreprise, se sont réunies pour trouver un moyen de les réduire. Chacun est ainsi plus responsable.

Nous faisons également en sorte d’encourager les opérateurs de ligne à prendre la parole et à participer au processus décisionnel car ils sont au cœur de l’action au quotidien. Certains peuvent être de nature timide et ne pas avoir les mêmes facilités à prendre la parole que d’autres salariés. Il faut donc les accompagner. Mais leur implication paie : c’est une équipe d’opérateurs de ligne qui a ainsi trouvé la solution pour réaliser des biscuits bicolores par exemple. Dans tous les cas, nous faisons en sorte que les bonnes idées soient rapidement mises en œuvre. Nous encourageons la prise de risque et admettons le droit à l’erreur.

Lorsque vous avez supprimé des échelons, comme l’ont vécu les personnes concernées ? Comment motivez-vous aujourd’hui les troupes pour progresser dans l’entreprise ?

Certains salariés ont en effet choisi de quitter l’entreprise notamment ceux qui ont vécu cette suppression comme un déclassement dans la hiérarchie Mais sur une trentaine de personnes, seulement quelques-unes ont fait ce choix. C’est un facteur que nous prenons désormais en compte, notamment dans la réorganisation de notre site en Bretagne, pour mieux accompagner les personnes dans ces changements structurels.

D’un point de vue carrière, l’évolution se fait rarement en vertical puisque les postes hiérarchiques sont peu nombreux. Le système permet de reconnaître les compétences de chacun et donne la possibilité aux salariés de s’investir sur des sujets qui les intéressent, dans leur métier ou au-delà. Les plus moteurs deviennent de véritables relais auprès des équipes pour faire avancer les projets. Ceux qui le souhaitent ont également la possibilité d’évoluer vers un nouveau métier ou de nouvelles fonctions dans la mesure de ce que l’entreprise peut offrir. Tout cela doit contribuer à remettre l’homme au cœur des décisions et à ne plus brider le potentiel des salariés.

Vous avez également supprimé les primes individuelles,  pourquoi ?

La volonté générale du groupe est de redonner du sens au travail collaboratif. Si les primes ont été supprimées, nous les avons toutefois lissées et intégrées dans le salaire net des salariés. De la même façon, ce sont les équipes qui fixent leurs propres objectifs mais personne ne les contrôle puisque nous avons opté pour un management par la confiance. Le but est toujours de faire mieux que l’année précédente et d’être bien placé par rapport à la concurrence. Nous avons ainsi supprimé le système de reporting, libérant du temps à nos salariés pour travailler sur des sujets à plus forte valeur ajoutée comme l’innovation par exemple. En termes de rémunération, les primes d’intéressement versées sont également identiques pour tous les salariés quel que soit leur salaire.

Dans la même veine, nous avons décidé, dans un premier temps pour les cadres, qu’un collectif délibère sur les augmentations de salaire. Une quinzaine de personnes sont chargées d’évaluer les requêtes déposées via un dossier par chacun. Des critères précis ont été définis concernant aussi bien le savoir-faire que le savoir-être. Le comité connaît uniquement le pourcentage demandé mais pas le salaire de l’employé. Le but est d’objectiver les augmentations individuelles. Des propositions d’augmentation peuvent également être faites sans que le salarié sollicite le comité. Pour l’instant, seuls les cadres sont concernés car ils sont les moins nombreux, ce qui rend plus facile l’expérimentation. Mais nous réfléchissons à généraliser ce système à l’ensemble des salariés. Tout cela doit rendre les gens plus responsables. De la même façon, il n’y a pas d’horaires de travail fixes, sauf pour les personnes sur les lignes, et pour les vacances, chacun les pose comme bon lui semble dès lors que ça ne bloque pas l’activité de l’entreprise, ou l’organisation de l’équipe. Idem pour le remboursement des notes de frais, chacun gère directement avec le service comptabilité, personne ne contrôle.

En termes de productivité, comment ce sont traduits tous ces changements ?

Nous ne réfléchissons pas nécessairement en ces termes même si il est vrai qu’au cours des années passées nous avons connu une croissance à deux chiffres sur un marché plutôt stable, voire en décroissance. Aujourd’hui le contexte est plus compliqué. Pour autant, la nouvelle organisation nous a permis de capter de nouveaux clients comme Michel & Augustin. Auparavant nous n’aurions pas forcément obtenu ce marché.

Pour aller de l’avant, nous misons aujourd’hui sur l’international. Pour ce faire, nous formons par exemple les salariés à l’anglais et nous créons des équipes transverses dédiées à cet objectif. Toujours d’un point de vue de l’innovation, nous avons également monté un programme start-ups et un incubateur interne.

Comment cet incubateur fonctionne-t-il et à quoi sert-il ?

L’idée est que demain Poult ne fera peut-être plus uniquement des biscuits. Plutôt que de voir partir les personnes qui ont un projet,nous souhaitons les accompagner pour qu’elles mènent à terme leur idée. Sur quatre projets incubés, un a pour le moment vu le jour. C’est une contrôleuse de gestion qui monte un projet de food-truck : La Légumerie. Elle continue à être salariée de l’entreprise et c’est Poult qui finance les investissements (achat du camion, aménagement d’un laboratoire de cuisine,…). Une équipe interne l’accompagne pour jalonner le projet mais elle reste parfaitement autonome. Le projet évolue aujourd’hui vers une boutique et nous réfléchissons à éventuellement lancer une franchise qui deviendrait une filiale de Poult. Pour la salariée, un système de parts sera probablement mis en place dans un système « gagnant-gagnant ».

Sept ans après la nouvelle organisation, l’entreprise continue-t-elle à évoluer ?

Ce travail n’est jamais vraiment terminé. A Briec (Bretagne), un projet de réorganisation est en cours depuis le début de l’année. À Montauban, une nouvelle démarche a également été lancée cette année. Il est facile de décloisonner pour vite re-cloisonner et s’installer dans sa « zone de confort ». Nous cherchons à éviter cela sans pour autant tout changer. Le but est de remettre en cause régulièrement notre organisation et notre façon de fonctionner. Ce sont des changements qui évitent de « s’endormir » et redonnent de la motivation.

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